Rapport bourse d'accompagnement 2012 - Pieter Geenen : projet de film sur le Haut-Karabakh

Modifiée le : 23/07/2013

projet de film sur le Haut-Karabakh

Au printemps et à la fin de l'été 2012, je me suis rendu dans l'enclave arménienne du Haut-Karabakh pour y réaliser un nouveau projet de film consacré à la relation entre les notions d'"identité nationale", d'"ethnicité", d'"origine", de "patrie" et de "paysage". Cette région s'est autoproclamée indépendante, mais elle n'est pas reconnue par la communauté internationale. Cet état de fait recèle à mon avis une métaphore intéressante pour une certaine absence d'identité. On peut affirmer que sous son statut actuel, cet endroit n'existe pas.

Après l'éclatement de l'Union soviétique, ce territoire a fait l'objet d'un conflit entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan. Un cessez-le-feu règne depuis 1994 et la tristement célèbre guerre du Karabakh, mais sans solution. Ce conflit sanglant mais presque oublié a entraîné l'isolement total du Karabakh qui n'est toujours accessible que par une route traversant les hautes montagnes du sud de l'Arménie.

Pour ce projet, je m'intéresse à la manière dont les habitants du Karabakh vivent cette forme d'"absence de nation" ou la négation de leur nationalité par la communauté internationale L'absence d'identité nationale existe-t-elle ? Et quels liens puis-je établir avec l'évolution actuelle autour de l'identité flamande et belge ou la crise des deux identités ?

Pour trouver des réponses à ces questions, je suis entré en contact avec la population du Karabakh, où j'ai interviewé toute une série de personnes. J'ai aussi sillonné la région, à la recherche de lieux adaptés à des enregistrements vidéo et sonores de ce paysage montagneux typique. Pour le soutien pratique et logistique, j'ai collaboré avec les gens du Programme d'Artistes en résidence ACOSS à Erevan, la capitale de l'Arménie. J'avais déjà séjourné chez eux lors d'un précédent projet que j'ai réalisé en Arménie en 2010.

Mon premier voyage était surtout axé sur l'enregistrement du plus grand nombre possible d'images et de sons. J'ai d'abord passé quelques jours à Erevan pour y régler les questions de visa et trouver des interprètes et des contacts au Karabakh. Je suis arrivé à Erevan le jour de la commémoration du génocide arménien de 1915. Chaque 24 avril, des centaines de milliers d'Arméniens se rendent au monument commémoratif d'Erevan. La télévision nationale retransmet des images de cette marée humaine tout au long de la journée. Je me suis mêlé à cette imposante manifestation.

Une fois arrivé au Karabakh, le rythme quotidien était dicté par la lumière du jour. Du lever au coucher du soleil, j'ai parcouru le Karabakh à la recherche de lieux adaptés pour des enregistrements. Le moment de la journée détermine en effet l'atmosphère de l'image et du son. Les paysages sont sujets à d'incessants changements de la lumière (printanière). Cette saison était donc le moment idéal pour filmer le paysage vert sous toutes ces facettes.

J'ai d'abord séjourné dans la capitale historique de Chouchi. Du fait de sa situation stratégique, cette petite ville a beaucoup souffert pendant la guerre et ses cicatrices sont toujours visibles. De là, ma "chasse aux sites" m'a amené à parcourir le paysage vallonné et montagneux, où j'ai découvert plusieurs cloîtres du haut moyen-âge nichés dans les montagnes, le long de la ligne de front orientale avec des perspectives infinies sur les steppes azerbaïdjanaises. Puis la ville entièrement dévastée et désertée d'Agdam et la partie méridionale du Karabakh, qui donne sur la large vallée de l'Aras derrière laquelle s'étend l'Iran. J'ai souvent eu l'occasion de discuter avec des habitants, ce qui m'a parfois apporté des perspectives intéressantes pour mon projet.

Mon second voyage a davantage porté sur des interviews d'habitants du Karabakh autour de la trame du projet. J'ai pu interviewer une dizaine de personnes dans différents contextes : dirigeant, artiste, étudiante, psychologue, enseignante, femme au foyer,... Plusieurs rencontres fortuites ont également enrichi mes recherches.

J'ai aussi eu des contacts particulièrement utiles avec les gens de Radio Free Europe/Radio Liberty. Cette station de radiodiffusion et de communication est née en Europe de l'Est au vingtième siècle, à la fin des années '40 début des années '50, pour lutter contre le communisme. Aujourd'hui, elle diffuse en Europe et au Moyen-Orient, et son quartier général est établi à Prague.

A Chouchi, j'ai aussi visité le Naregatsi Art Institute, qui est chargé de la promotion et de la préservation du patrimoine culturel arménien. Au Karabakh, ils s'attachent tout particulièrement à stimuler le développement artistique des enfants et l'expression artistique est utilisée comme thérapie pour traiter des traumatismes, souvent liés à la guerre.

Enfin, j'ai aussi réalisé quelques prises de vue et de son dans des sites qui m'avaient déjà frappé la dernière fois, mais où je n'avais pas encore eu la chance de pouvoir tourner. Le temps était en outre très différent, ce qui m'a permis de compléter de manière intéressante le matériel que j'avais déjà.

Au cours de l'étape suivante du processus créatif, je vais rédiger un texte basé sur les interviews et le matériel de recherche que j'ai collectés ici et au Karabakh et en Arménie. Ce texte (en anglais) doit être enregistré dans un studio son et servira de commentaire sonore pour le film. J'aimerais pouvoir le faire en Arménie ou au Karabakh avec une personne locale. J'ai donc l'intention d'y retourner une dernière fois, plus tard dans l'année, pour tourner les dernières prises de vue pour le film. Des lieux et des situations qui sont gravés dans ma rétine depuis mon dernier voyage, mais qui m'avaient échappé pour diverses raisons.

Lorsque tout cela sera terminé, il me restera à monter les images et le son. J'espère que le film sera tout à fait prêt fin 2013, début 2014.


Auteur : Pieter Geenen - Date : 2012