ZOON

Modifiée le : 23/03/2014

FILS

SE DÉTACHER DE PHÈDRE

Une femme reste. Son mari s’en va en lui laissant son fils, issu d’un autre mariage. Elle tombe tragiquement amoureuse de son beau-fils, qui refuse ses avances. Lorsque son mari revient, elle se venge du rejet de son beau-fils en l’accusant de viol. Fou de rage, le père veut punir : il veut pour son unique enfant une mort atroce. Son fils meurt peu après. Dès qu’il l’apprend, il s’effondre. Puis elle lui avoue avoir menti.

Conflits élémentaires, liberté intérieure, cruauté et mort. Tout auteur qui aborde ces thèmes en revient presque inévitablement aux tragédies classiques. Les écrivains grecs ne parlent que de drame, de meurtre et d’inceste. Sarah Kane s’est également inspirée de cette tragédie antique qu’est Phèdre. Il n’est donc pas étonnant que son Phaedra’s love (1996) en soit une variante plutôt macabre. Pour cette œuvre, elle n’a pas, comme nombre de ses prédécesseurs, d’abord cherché l’inspiration dans les modèles grecs, mais bien chez Sénèque (env. 65 après J.C.). Jean Racine s’en est lui aussi inspiré pour Phèdre (1677). La version de Phèdre d’Hugo Claus (1980) est la plus connue en Flandre.

Mon propos était d’écrire une nouvelle version, contemporaine, de l’histoire de Phèdre. Dans la manière d’aborder le texte, j’ai aussi un peu utilisé ma propre histoire. Par une série d’interventions, j’ai conçu, dans les limites de mon parcours d’auteur, un récit contemporain et original qui intègre également de nouveaux éléments. Faire renaître un texte existant s’est avéré une aventure exaltante et intense.

Nathalie Haspeslagh m’a servi de caisse de résonance pendant le processus d’écriture. Elle a été pour moi le mentor que j’attendais. Elle m’a conseillé et guidé pour construire ma création. Grâce à sa longue expérience, elle s’est tenue à mes côtés et m’a suivi dans mon monde. Elle a écouté, posé des questions, ouvert des perspectives, elle a philosophé avec moi et m’a prodigué des conseils techniques.

Quel était donc le mobile de mes personnages ? Mes personnages étaient-ils bavards ? Mon texte reste-t-il fluide ? La trame se développe-t-elle ? Chaque personnage se développe-t-il ?

En tant qu’acteur (je ne suis pas écrivain), je peux facilement m’associer au moteur de l’action d’un personnage par le biais des émotions. J’ai adopté le point de vue de chacun d’entre eux et ai ainsi pu épurer leur profil. L’émotion de base qu’un acteur utilise comme moteur fait souvent office de point de départ dans mon œuvre dramatique. Pour chaque scène, j’ai choisi l’un des trois réacteurs, je ne les ai jamais utilisés en même temps : réconfort, espoir ou impuissance.

La distance que je recherchais par rapport au récit, je l’ai aussi cherchée dans la technicité du texte : des phrases concises, claires, rien que l’essence synthétisée dans des mots justes, le tout choisi et dosé avec soin. Rien n’est expliqué. Chaque phrase a un sens caché. Ce qui est dit n’est pas ce que le personnage veut ou veut dire. Ce double sens m’a permis d’approfondir l’abstraction et la distance dans mon œuvre tout en respectant les règles de la rédaction. La distance entre le corps et l’esprit, entre le dire et le vouloir est souvent le moteur du jeu d’un acteur. C’est ce que je voulais absolument concrétiser dans de longs dialogues.

J’ai ramené le récit à ses points de basculement : une quintessence de 8 scènes qui racontent tout. Je n’ai pas utilisé de lignes supplémentaires, seulement les relations purement interpersonnelles. Les dialogues (exclusivement) sont ramenés à des conversations dans lesquelles les gens partagent la plus grande intimité. Ce sont souvent des situations de confrontation, une dispute exacerbée, un aveu pervers et enfin une intense déclaration d’amour.

Mais en quoi le classique diffère-t-il donc de ma version sur le plan du contenu ? Pour ne soulever qu’un coin du voile : dans mon texte, Phèdre n’est pas une femme, mais un homme. Ma thématique de genre a aussi été intégrée. Toutes les relations, les mobiles et les objectifs évoluent donc d’une autre manière que dans l’original.

Dora van der Groen est à l’origine de ce projet. Pendant ma formation au Conservatoire d’Anvers, j’ai joué son adaptation de cette tragédie pendant ses cours de théâtre. J’utilise son approche bouddhiste du sujet dans ma vie, où je puise aussi les racines de mon métier d’artiste. Avec cette « retraduction », je voulais en revenir à l’essence (intense). J’ai donc fait ce que je fais le mieux : me détacher.


Auteur : Karel Tuytschaever - Date : 23/03/2014