PerfilRodri

Rodrigo Vescovi

ottignies, Belgique

Auteur pour bande dessinée

Modifiée le : 15/02/2012

Quelques exemples, histoires, scénarios.

Evaristo

Les vacances de Pâques commençaient le 2 avril pour la plupart des Espagnols, dont Jaime. Il avait l’habitude de les passer à la villa de sa mère à Vallvidrera, pour se reposer et fêter son anniversaire.

Ses collègues de bureau voulaient qu’il parte en vacances dans un pays exotique, ils lui parlaient du charme des Thaïlandaises et de la tranquillité des mers du Sud.

Pour les vacances de Noël, ils lui réservèrent un billet d’avion pour Rio de Janeiro, mais il leur expliqua qu’il ne pouvait laisser sa mère seule pendant les fêtes et qu’il partirait aux prochaines vacances.

Ainsi, le 3 avril, un peu forcé, il prit un vol en direction de Cancun. Il s’installa dans un hôtel 4 étoiles, puis prit un taxi pour aller à la plage. Il y passa toute la journée à faire trempette dans l’eau et à observer des jeunes qui jouaient au volley et deux femmes à la peau dorée, près de lui.

Dans l’après-midi, il alla prendre une glace sur la promenade maritime, ensuite il dîna et s’endormit devant la télévision.

Le deuxième jour de vacances, il alla à nouveau à la plage, parce qu’après tout, il était là pour ça. Cette fois-ci, il prit un journal pour se distraire. Il commença par lire des articles sur les épidémies au Rwanda et sur la bombe qui avait détruit un consulat et il finit par faire les mots croisés et les problèmes du jeu d’échecs.

Le troisième jour de vacances tombait un lundi, et c’est sans doute pour ça que le bureau lui revint en mémoire, ou alors c’est parce que ses collègues, la secrétaire et le Macintosh lui manquaient. Il s’ennuyait, allongé sur le sable, le journal ne lui disait rien : la tragédie du Rwanda continuait, les familles des victimes de l’attentat pleuraient, et Arantxa Sanchez Vicario était en demi-finale de Roland Garros.

Son regard fut attiré par une petite bestiole, un scarabée minuscule qui montait et descendait ce qui devait être des montagnes de sable à ses yeux. Jaime se demanda ce qu’il était en train de chercher en avançant si lentement. Il enfonça un doigt dans le sable et l’insecte tomba dans le creux en faisant le mort. Puis soudain la petite bête repartit à toute allure.

Jaime admirait cette bestiole ingénieuse. Il la recouvrait de sable et il observait comment les grains de sable commençaient à bouger, puis il voyait les petites pattes apparaître au prix de gros efforts, et enfin son corps entier.

Il n’y avait plus grand-monde sur la plage, le soleil se couchait et Jaime regardait le sable. À un moment donné, il se rendit compte de l’heure et il se leva en pensant au dîner à l’hôtel. La petite bête dans une main, il ramassa sa serviette et le journal qu’il n’avait même pas ouvert. À la réception, il demanda ses clés et prit l’ascenseur. Avant d’arriver à son étage, il ouvrit la main : le scarabée était là, les pattes en l’air, faisant le mort.

-- Petit coquin, petit coquin, je sais bien que tu n’es pas mort – dit Jaime avec un énorme sourire.

Il entra dans sa chambre et alla directement dans la salle de bain, il vida un flacon de médicaments pour le mettre dedans. Avec le pouce et l’index, il repoussa le récipient pour mieux voir l’insecte qui, en vain, essayait de grimper sur la paroi en verre. Jaime secoua la serviette dans le lavabo et ramassa des grains de sable qu’il introduisit également dans le flacon.

Après avoir pris une douche, il descendit dîner puis, sans allumer la télévision, il dit bonne nuit au scarabée et éteignit la lumière. Il se sentait fatigué.

Le quatrième jour de vacances, Jaime se leva tout content, il alla à la plage sans journal, mais avec le petit flacon. À peine arrivé, il libéra la petite bête et s’installa pour voir ses pirouettes. Il passa toute la journée comme ça. L’insecte s’enterrait et ressortait, parfois il montait même sur le bras de Jaime.

Avant de dormir, alors que le scarabée allait et venait sur les draps, il décida de lui donner un nom, Evaristo ; et il lui expliqua que le lendemain, c’était son anniversaire et qu’ils iraient dîner au restaurant où il y avait des mariachis et un spectacle.

Pendant que Jaime s’habillait pour sortir, le téléphone sonna.

-- Bonjour maman, comment vas-tu ?

-- Joyeux anniversaire Jaimito.

-- Oh merci, merci.

-- J’ai essayé de t’appeler toute la journée.

-- J’étais à la plage.

-- Waouh, c’est génial, et ce soir tu vas sortir ?

-- Bien sûr maman, je vais dîner au Mariachi.

-- Oh, c’est super ! Tu as une jolie voix, je suis très contente que tu ailles bien. Tu iras tout seul ou accompagné ?

-- J’irai avec un ami.

-- Avec une amie ?

-- Non, un ami, il s’appelle Evaristo.

-- C’est bien, il loge aussi dans le même hôtel ?

-- Oui, oui.

Très élégant et presque séducteur, Jaime quitta la réception et marcha jusqu’au Mariachi. Il entra la tète haute, la main gauche dans la poche, touchant le verre du flacon. Il le plaça devant lui, et le serveur attentif s’approcha avec un petit plateau sur lequel il y avait un verre d’eau.

-- C’est de la Téquila ?

-- Non monsieur, de l’eau pour votre médicament.

-- Quel médicament ?

-- Celui-là, vous ne devez pas le prendre ?

-- Mais ça va pas, avaler Evaristo ! C’est une honte ! Je m’en vais.

Le serveur, le plateau dans les mains, resta bouche bée, tous les regards posés sur lui.

Jaime sortit du restaurant et marcha dans les rues sans trop savoir où aller. Par moments, il était en colère, à d’autres, il riait, et parfois il semblait danser. L’aspect de la ville se dégradait au fur et à mesure qu’il pénétrait dans le quartier marginal du centre-ville. Comme il avait faim, il rentra dans un bar pour manger des tortitas et boire de la téquila. Ça amusait la serveuse de voir comment il avalait l’eau-de-vie et parlait au scarabée. Jaime sortit du bar en zigzaguant, et la serveuse regretta son départ.

-- Au revoir Jaime, au revoir Evaristo ! – saluèrent les clients que Jaime avait invités.

Jaime s’arrêta pour héler un taxi et respirer profondément la chaleur de la nuit et la brise marine. Comme il avait mal au cœur, il préféra marcher que de rester sur place, il reprit donc sa marche en fredonnant une chanson qu’il interrompait pour boire au goulot de la bouteille et exhaler son haleine sur Evaristo afin que son compagnon partage son ivresse.

Il arriva à l’hôtel en pouffant de rire et s’endormit tout habillé, le flacon dans la main.

Le lendemain matin, il avait mal à la tête, mais en voyant l’heure qu’il était, il se leva : “pauvre Evaristo, il doit avoir une envie folle de gambader sur le sable”.

Sur la plage, Evaristo escaladait et écartait les petites pierres qu’il trouvait sur son passage. Jaime, somnolant, suivait ses traces. À un moment donné, l’insecte passa sur une chaîne à moitié enfouie dans le sable et Jaime l’aperçut.

-- Elle est magnifique ! Elle est en argent ! Mais Evaristo, il ne fallait pas, quel cadeau ! Ils passèrent tout le reste de la journée sur le sable, à prendre le soleil.

Le dernier jour de vacances, ils partirent découvrir une autre plage, mais Jaime ne fit pas attention aux beaux palmiers qui l’entouraient ni aux surfeurs. Il était subjugué par la bestiole. Il la poursuivait avec le doigt et l’enterrait pour voir comment elle ressortait, mais une fois, il s’inquiéta parce qu’il ne la voyait pas ressortir. Il se mit à remuer le sable mais elle n’apparaissait toujours pas. Il enfonçait ses mains tremblantes, désireuses de retrouver le scarabée tout en criant : Evaristo ! Une touriste norvégienne allongée tout près, ramassa ses affaires à la hâte, prit son fils par la main et partit tout en se retournant pour voir comment Jaime se lamentait et fouillait dans le sable.

Au loin, il y avait un point noir sur le sable, un point noir qui bougeait, c’était Evaristo qui gambadait comme si de rien n’était.

---Tu m’as fait une de ces peurs –s’exclama Jaime, en serrant contre sa poitrine la main dans laquelle il tenait l’insecte--, Où étais-tu passé ? – ajouta-t-il en reprenant sa respiration.

Un dîner bien arrosé et une promenade nocturne suffirent à Jaime pour oublier le moment d’angoisse passé.

Les vacances touchaient à leur fin, mais Jaime ne semblait pas s’en rendre compte. Comme chaque jour, il alla à la plage avec Evaristo, mais cette fois sans le lâcher du regard. La journée s’écoula entre grains de sable, va-et-vient des coléoptères et regards souriants. Dans l’après-midi, Jaime vit une jolie Mexicaine devant le kiosque à glace, il alla s’en acheter une aussi et entama la conversation avec la jeune fille. Avant de finir sa glace, Jaime, les yeux brillants et superbement bronzé, surprit la jeune fille :

-- Viens, je veux donner la dernière goutte à Evaristo, il adore les sucreries.

-- Mais où ?

-- Là-bas, la serviette du Barça, dans le flacon posé dessus, il y a un scarabée bien sympathique, tu verras.

--Non merci, je dois retourner avec mes amies – s’excusa la jeune fille. Jaime fut peiné de son départ mais il se divertit vite en voyant comment Evaristo se régalait.

Le lendemain matin, il devait rentrer à Barcelone. À peine réveillé, il bâilla et regarda le scarabée qu’il avait mis dans le tiroir de la petite table de nuit, pour qu’il ait plus d’espace pendant la nuit.

-- Allez, Evaristo, ne fais pas ton paresseux, réveille-toi, nous rentrons à la maison.

La petite bête restait immobile, les petites pattes collées contre son corps. La vie courte de l’insecte était arrivée à sa fin.

-- Allez, Evaristo lève-toi, demain je travaille et je ne suis pas d’humeur à plaisanter.

-- Evaristo !

Jaime le prit dans ses mains et, voyant qu’il était mort, se mit à pleurer en silence.

Soudain, on frappa à sa porte pour le prévenir que l’autocar pour l’aéroport partait dans une demi-heure.

Jaime prépara ses affaires et se rendit à la réception, en emportant le cadavre avec lui. Dans la zone Free Shop, il acheta une petite boîte en argent et y plaça Evaristo. Le couvercle levé, il prononça quelques mots puis referma la boîte contenant le cadavre de son ami.

Le début du voyage fut un peu triste, mais plus tard, Jaime réussit à sourire en se souvenant de son ami, de la saoulerie du jour de son anniversaire, de la jeune fille à la glace...

À peine avait-il franchi la porte “Arrivées” qu’une grande dame vêtue d’une robe à fleurs bien voyante criait :

--Jaimito, Jaimito.

Embrassades de sa mère et retour à la maison. Le lendemain matin, Jaime arriva le premier au bureau, comme toujours, mais cette fois-ci, il n’alluma pas son ordinateur. Puis ses collègues de bureau arrivèrent et se jetèrent sur lui, vantant son bronzage et le martelant de questions. Mais il se contenta de répondre :

-- Oui, je me suis bien amusé.

-- Allez, dis-nous la vérité –insista la secrétaire--, tu t’es fait des amis, ou une petite copine ?

-- J’ai connu Evaristo – dit-il en s’adressant à ses collègues, le regard triste. Ils se regardèrent les uns les autres en cachant leur surprise.

-- Tu le reverras, tu peux y retourner en été – essaya de le consoler la secrétaire.

-- Écris-lui une lettre – proposa un autre.

Jaime, le visage décomposé, leur demanda de partir et il alluma l’ordinateur.

Auteur : “Le scarabée bleu”.


Auteur : Rodrigo Vescovi - Date : 2011