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Rodrigo Vescovi

ottignies, Belgique

Auteur pour bande dessinée

Modifiée le : 15/02/2012

Quelques exemples, histoires, scénarios.

Le trésor de l’île perdue

Une forte tempête typique des Caraïbes obligea Morgan Ludd à jeter l’ancre de son petit voilier près d’un îlot. Le jeune homme avait été choisi par Travel Sky, agence de voyages qui voulait se faire connaître, pour effectuer un long périple. Il s’agissait d’aller de l’Alaska à Ushuaia, en moins de six mois, sans utiliser de véhicules à moteur. Morgan, qui avait tout juste quatorze ans, avait atteint la mer des Caraïbes à cheval, en charrette, en traîneau et à vélo.

Avant de réparer les voiles, il se promena sur la plage de sable et constata que l’île était habitée par de curieux personnages. Il connut une vieille dame aveugle et voyante, un violoniste expulsé de l’Orchestre de Vienne parce qu’il dansait pendant les concerts, deux amoureux qui fuyaient la rigidité de leurs parents, deux touristes suédoises ne supportant plus le téléphone et le bureau, un vieux pêcheur recherché par la justice et un Catalan passionné par les livres sur les pirates. Ils formaient une étrange communauté qui se nourrissait de langoustes et de fruits, et qui, semblait-il, n’appréciait pas trop les visites.

En fin d’après-midi, même si les voiles étaient réparées, Morgan préféra passer la nuit à terre, près du feu qu’avaient allumé les habitants de l’île. Au milieu de la nuit, il se réveilla pour soulager sa vessie, et, par hasard, il entendit une conversation secrète entre le Catalan, le pêcheur et les Suédoises. Il découvrit ce qui unissait ces êtres si différents. Ils cherchaient un trésor enterré en 1588 par le pirate Francis Drake et ils discutaient d’un éventuel partage.

Morgan se leva, troublé par le regard hostile du pêcheur et par le silence du Catalan. Il était conscient qu’il devait reprendre le large pour ne pas déranger ses hôtes. Il se dirigea vers la forêt pour y cueillir des fruits et remplir son garde-manger, pensant lever l’ancre au plus vite. Il monta sur un palmier, à l’écart, étrangement enraciné au bord d’un précipice qui donnait sur la mer. Alors qu’il admirait le spectacle des vagues, il se rendit compte que les rochers, en contrebas, étaient couverts de moules, énormes et appétissantes. Les imaginant avec de l’ail et du persil, il en eut l’eau à la bouche et décida d’en faire le menu de son prochain repas. Au mépris du danger des vagues, il atteignit le récif où il y avait le plus de moules et commença à les arracher avec son couteau. Plongé dans sa tâche, il ne vit pas que la marée montait petit à petit et juste au moment où il se pencha pour en ramasser d’autres, une vague plus puissante que les précédentes l’enveloppa et l’entraîna au fond de la mer. Il donna des coups de pied, agita les bras et se débattit pour ne pas succomber. La mer, de même qu’elle l’avait entraîné, le rejeta violemment sur les rochers contre lesquels il se cogna la tête et il en fut tout étourdi. Sentant à nouveau la présence des rochers, il se sut hors de danger mais son inquiétude persistait. “Quel choc, je n’y vois rien !” À tâtons et en se frottant les yeux, il comprit ce qui lui arrivait. Il n’avait pas perdu la vue, il se trouvait dans une grotte très sombre. La vue lui revenait au fur et à mesure qu’il s’habituait à la pénombre.

Et quelle ne fut pas sa surprise, l’une des plus grandes de sa vie : au-dessous des chauve-souris, entre les rochers couverts de mousse et de bouts de bois pourris, il y avait des pièces de monnaie, des vases et des pots ornés de gemmes, des colliers et des pierres précieuses aux couleurs incroyables. Le coffre du pirate ! L’étourdissement provoqué par le choc céda le pas à la stupéfaction de la découverte. Ébahi, il essaya des couronnes, des bracelets et des bagues et fit semblant de boire dans des coupes en argent. Il voulut prendre quelque chose et l’emporter en cachette sur son voilier, mais il se dit que les autres lui donneraient une bonne récompense pour avoir découvert le trésor.

Il sortit de la grotte à la nage et parvint au rivage tout excité. En quatre foulées, il se retrouva sur une hauteur d’où il put voir ses hôtes : la Mexicaine offrait son ventre à la lumière de l’après-midi pendant que son bien-aimé, à genoux, le lui caressait. À droite, le Catalan écrivait sur des feuilles de papier. Morgan gonfla ses poumons pour crier et annoncer sa découverte mais, sans savoir pourquoi, il laissa l’air s’échapper et murmura d’une petite voix : “le trésor”. Nues, les Suédoises prenaient le soleil au bord de l’eau.

--Le trésor – dit-il, cette fois-ci en chuchotant.

L’Africaine aveugle et le vieil Haïtien étaient assis sur un rocher. Lui, il pêchait et elle, elle épluchait des mangues pour tous les deux. Et tout, absolument tout, était bercé par la musique de l’Autrichien qui, juché sur un rocher, le regard tourné vers l’Est, semblait jouer pour son cher public viennois. Contemplant la silhouette du violoniste et la mer impressionnante à l’horizon, il répéta les mêmes mots mais, cette fois, en sachant que le trésor, c’était ça, cette image, les notes du violon, le bébé qui allait naître, les mots du pêcheur qui décrivaient la réalité à la vieille dame, le soleil, la mer, eux tous qui vivaient les uns pour les autres, en harmonie, avec tendresse, unis par la recherche ou l’espoir de quelque chose d’encore mieux.

Il se dirigea vers eux tout en pensant que l’or changerait cette communauté et la détruirait probablement. Il décida ne pas en être le responsable. “S’il le faut, que ce soit le destin, pas moi” se dit-il, en regrettant, au fond, de ne plus pouvoir compter sur une récompense.

Au moment des adieux, il ne put dissimuler sa nervosité ; il prit donc congé de tous, en leur promettant tacitement son silence et en les invitant à venir le voir.

--Prends soin de toi, mon garçon, et que la chance t’accompagne – dit l’Africaine.

-- De même – répondit-il.

-- Ton voilier a de nouveau belle allure – ajouta le Catalan.

-- Tiens, prends ce panier plein de fruits, je vois que tu as mangé en chemin les bananes que tu avais cueillies, lui dit le musicien, constatant qu’il était revenu de son expédition les mains vides.

-- Oh ! Merci, s’exclama Morgan, en se souvenant qu’il avait laissé un tas de bananes et de noix de coco sous le palmier. Il préféra ne rien dire, il les serra dans ses bras les uns après les autres et monta sur son bateau, réalisant qu’il avait mûri.


Auteur : Rodrigo Vescovi - Date : 2011